« C'est comme si j'avais fais le tour, que je ressentais plus rien. C'est comme si tout était vide de sens et que mes sentiments, eux, avaient perdu toute valeur. » C'est ce qu'il écrit, en rouge, plusieurs fois, toujours la même chose. Douleur ? Elle est probable. Elle ne pouvait pas le faire, mais il a vu son ombre. Ombre douce et vive disparaître. Ses phalanges meurtries et son visage creusé par des larmes qui coulaient encore et encore sur ses joues, plusieurs fois, longuement. Toujours. Il a du sang sur les mains, du sang dans le cœur, du sang qu'il n'arrivait plus à effacer. Sec, ne pouvant plus disparaître. Mais qu'est-ce qu'il a fait ? Il se souvient de ses yeux de la couleur de l'océan, de sa bouche ensanglantée, il avait mal, il ne comprenait pas. Colère et haine transformée à cet instant en tristesse et mal-être. Enfermé dans un trou à rat, dans un endroit entre deux montagnes d'où il ne pense jamais réellement sortir. Il se sent comme paralysé dans une prison dont il ne pourra plus sortir. Tout ça à cause de simples erreurs.

« Il venait s'excuser, Naël, t'as faillis le tuer. » Il l'écrit aussi sur son cahier, qui ne semble plus être un cahier tant le bas des pages est brûlé. Brûlé, il s'amuse, il joue avec le feu comme il joue avec sa vie. Souvent il passe la flamme sur les paumes de ses mains meurtries, brûlée au second degré, lacérées profondément avec de simples bouts de verre. Il se révolte, montre son désaccord. « Vous voulez m'envoyer me faire corriger, j'en ressortirais jamais sans mal et sans blessures, j'en ressortirais que plus brutal, j'en ressortirais que moins humain. » Une couleur rouge plus foncée sur son cahier, quelques mots seulement et il relève ses mains de la feuille de papier. Il regarde ses mains blessées et les goûts rougeâtres couler le long de ses bras. Il se blesse lui même dans une volonté d'en sortir pire qu'il est entré, de faire payer à ceux qu'il aimait la souffrance qu'il a pu endurer. Haine désinvolte, il refuse d'être le genre de cobaye qu'on enferme pour voir ce qu'il en devient après. Il n'est peut-être pas si différent des autres qu'il peut en avoir l'air, malade.

« Je vous haïs. Je vais vous blesser. » Il écrit une dernière fois, stylo rouge ensanglanté dans ses mains, et il lâche finalement celui-ci, posant sa tête contre le cahier. Fatigue. Haïr est fatiguant, haïr ce n'est pas ce qu'il a pu faire tout au long de sa vie. Il n'était qu'une ombre, cachée derrière l'enfant que ses faux parents avaient eu. Un enfant décédé, adoptons en un autre pour le remplacer. Naël n'est pas Naël, Naël est cet enfant qui vivait durant les dix premières années de sa vie dans un orphelinat, sous le nom qui lui était cher d'Ezio. Et Ezio devint Naël, d'un seul coup et sans attendre. Notre fils, Naël, est mort. Pourquoi on ne te tuerait pas toi aussi, Ezio ? Ses yeux se ferment, ses larmes creusent encore un peu plus le fossé qu'il existait entre Ezio, le véritable enfant, et Naël, Naël le monstre, Naël celui qui heurte, celui qui blesse. Celui qui croit aux miracles mais qui tente tout pour les faire disparaître, celui qui n'a pas peur et celui qui assassine.

Deux longs temps, il a ouvert ses yeux après cet instant de noir dans son esprit, tout de la même couleur que ses idées. Idéologie stupide de blesser ses faux parents, ces personnes qu'il n'aime pas. Que voulez-vous, très cher ? Il se redresse, brutal, son crâne cogne contre le bureau: douleur. Son esprit n'est pas sain, encore, il sait qu'il devrait faire attention à ne pas perdre encore plus la tête. Ces voix qu'il entend lui suffisent, il ne veut pas en plus voir des apparitions, des monstres qui lui déchiquetteraient la peau en simples hallucinations. Soit calme, Naël, il se le répète, il va bien, rien ne va mieux que depuis le jour où on l'a installé dans cet endroit qu'il haït. Rien ne va mieux, parce qu'il a toujours été seul, c'est un retour au sources depuis ce jour. Et de toute façon, ce garçon qu'il a frappé à lui en briser la cage thoracique, il l'a mérité. Il est blessé à vie des coups qu'il a pu marquer sur cet adorable adolescent, il était froid de paroles et maintenant froid de corps. Naël sait ce qu'il a fait, il est mort. Tout autant que Naël l'est.

« Je vous haïs. Mais savez vous à quel point je vous suis reconnaissant d'enfin me libérer d'un poids qu'était le nom de votre défunt fils. Naël, quel horrible nom. Je comprends d'autant plus son envie de se jeter sous un camion, la collision dans le fond était peut-être volontaire. Vous perdez un enfant âgé de dix ans et envoyez l'autre, le bouche trou que vous avez adopté, dans une sorte de prison qu'il n'apprécierait jamais, quel genre de couillons êtes-vous ? Vous oubliez ce qu'on vous a dit, vous oubliez tout. Je ne suis pas idiot, je ne suis pas un monstre. Il est mort, il se taira enfin, plaisance n'est-ce pas ? Vous oubliez trop vite, vous oubliez trop bien. "Ezio n'est pas un enfant comme les autres, il est atteint de schizophrénie, il risque probablement de devenir violent, soyez indulgent envers lui." Je ne suis pas méchant, je suis malade. Vous êtes des monstres. Oui, vous, vous l'êtes.

Je vous haïs. Je vais vous tuer. »

C'est simple comme question, dites-moi seriez-vous en train de vous foutre de moi ? Si c'est bien le cas, ça serait plus aimable de faire demi-tour en la fermant, j'ai horreur des personnes de ce genre. Des questions de ce genre également. Qui haïs-tu, comment vas-tu, bientôt ce serait quoi ? Est-ce que tu meurs bien, Naël ? Est-ce que tu veux qu'on t'aide à mourir ? Je veux, bien sûr. Qui je haïs, qui je haïs ? C'est stupide. Regardez autour de vous, tout le monde haït tout le monde, le monde haït le monde entier, l'air se déteste lui-même et les gamines passent leur temps à se lacérer elles-même les poignets à l'horizontale en pensant que ça leur fera du bien. Allez-y à la verticale, horizontalement les veines ne sont pas touchées. Je haïs le monde autant que je me haïs moi-même, je haïs mes faux parents, je haïs mes vrais parents. Je haïs Naël, Ezio, le centre, les personnes autour de moi, tout. Tout jusqu'à même l'air que je respire.

Rien ni personne ne peut me faire souffrir, sachez-le. Je haïs haïr, c'est blessant. J'ai l'impression d'être une personne que je ne suis pas, une personne que je ne suis plus parce que mes sois-disant parents ont décidé que j'étais un monstre et qu'il fallait m'encager. Je suis pas la personne que je laisse voir, pas l'ombre que je laisse entendre. Je suis peut-être même plus existant, même plus en vie, juste un corps sans peine ni douleur. Qu'est-ce qui pourrait faire souffrir quelqu'un de déjà mort, dites-le moi ? J'ai tellement été blessé par mes erreurs que plus rien ne me blesse, plus rien ne m'accable, j'ai juste peur qu'on vienne me dire que tout est basé sur un mensonge, mon existence entière. C'est la seule chose qui me ferait souffrir. Mais voyez-vous, les gens autour de moi s'acharnent à faire les choses de la mauvaise façon, ils s'acharnent à me dire la vérité, ils s'acharnent à me faire plaisir. J'attends qu'une seule chose, détruisez moi une bonne fois pour toutes, qu'on en finisse là.

Je souhaiterais être libéré de tout les poids qu'on m'a foutu sur le dos. Je souhaiterais vivre une vie que je n'ai pas, respirer un air pur, avoir une copine avec qui plus tard je me marierais et aurait des enfants sans me dire "Merde, Ezio, t'es mentalement instable et t'as probablement foutu ça dans les gênes de tes gosses", "Merde, Naël, t'es mentalement instable et tu risques de t'énerver trop violemment et d'assassiner la femme que t'aimes", "Merde, Inconnu, tu te fais encore passer pour quelqu'un que tu n'es pas, tu rêves mais tu n'auras jamais ce que tu veux réellement". Naël n'est pas moi, il est mort il y a sept ans, renversé par un camion et les Singleton ont cru pouvoir me faire devenir lui, leur enfant, leur fils. Je suis toujours Ezio, j'ai seulement un second nom, une seconde identité, seconde personnalité. Mais comme dit, Naël est mort. Intérieurement Ezio l'est aussi. Deux êtres morts peuvent donner quelqu'un de vivant, quelqu'un d'entier, je veux juste qu'on me foute la paix.

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