Ça y est, ça te prend. Cette envie de frapper, de cogner, de détruire tout ce qui passe à ta portée. Impossible de poursuivre, t'es comme paralysé et tu ris intérieurement Alaska parce que tout ça tu l'as bien mérité. Trop de substances dont tu connaissais même pas la provenance, elles t'ont rendu barge, t'ont fait prendre le large. Tu fais peur, Alaska, quand t'es comme ça. Et t'as envie de leur dire, de leur crier, de pas t'juger mais, au fond tu sais. T'es qu'un crevard, alaska le bâtard. Fauché par un chauffard.

Ils t'ont idéalisé plus stupide que tu l'étais. Ils t'ont pris pour un attardé, comme si un accident pouvait t'handicaper, toi, le roi Alaska. Putain Alaska qu'est ce que t'es pas ? Ils t'ont cru vulnérable, ta mort t'as juste rendu plus instable. Tu pouvais plus les blairer, tout ces teubés avec qui t'étais censé fraterniser. Mais regardez-les, regardez ces enfoirés, assistés 24/24. T'es pas comme ça toi, t'as pas besoin qu'on s'occupe de toi. T'as pas besoin d'parents, t'en a jamais eu, pourquoi maintenant ? La dernière fois qu'ils t'en ont refourgué, ce résultat putain, t'as fugué et ça t'as tué. T'as fini la gueule cassé sur le béton. Le visage ensanglanté, t'avais l'air d'un con.

On t'a remis dans ce foyer de jeunes perturbés. On t'a remis à ta place, le visage ancré dans la crasse. T'aurais pas pu survivre là-dedans, peu de gens savent ce qu'on y trouve réellement. Y a les dealers mais y a surtout les camés. Y a les fleurs fanées et les putes qui ont sur le visage les traces de l'oreiller. Y a ceux qui cachent qu'ils sont des filles, ça vaut mieux d'après ce qu'on dit. Y a ces gamins avec un rein en moins. Y a ces p'tits qu'ont appris à pas fermer l'oeil de la nuit. Comment ne pas se casser quand on ne pense qu'à sa propre survie, qu'on oublie sa p'tite soeur, son meilleur ami, qu'ça fait un bail qu'on a pas dormi. Comment ne pas t'casser quand tu t'es fait shooté par le karma et qu'finalement la grande faucheuse n'a pas voulu de toi.

Alors ouais, t'acceptes d'être considéré comme un attardé. C'est vrai que parfois tes phrases ne veulent rien dire, que ceux qui te croyaient muet, une fois qu'ils t'ont entendu parler, comprennent que de toi, y a rien a tirer. T'acceptes d'être jugé, dévisagé, parce que tu l'as bien mérité. Ils se moquent et tu la fermes, ça vaut mieux comme ça et quand ça leur tombera dessus, tant pis pour toi. Tant pis pour les règles, merde, tant pis pour l'espoir dans les yeux de la gamine. Tant pis pour lui, qui croyait encore en l'amitié que vous aviez bâtie. Qui a osé, te gueuler tes quatre vérités. Qui t'a dis à quel point, comme frère, t'étais nul à chier. Qui t'as fait comprendre que depuis ton accident, t'avais trop changé. Qu't'étais plus qu'un demeuré qui, ses mots, savait pas les alignés. Il savait comment te faire mal, comment utiliser ses mots pour enfoncer là où ça cale. Tu savais comment tout devait se terminer, l'un d'entre vous devait plier.

T'es la parce que t'as détruit une moitié d'homme, en lui crevant un oeil. Parce que vous vous êtes battu et que de ta vie, tu fais maintenant le deuil. Parce que les coups n'ont pas été retenus et que merde ça t'as fait du bien. Que pour la centième fois, t'as frappé quelqu'un et qu'cette fois, c'était pas pour un joint. Parce que même toi, tu cries haut et fort qu'Alaska est un piètre roi, mais que tout le monde sait que sa couronne imaginaire, il la lâchera pas.

J'ai envie de mentir, comme on a envie d'un joint après deux jours de privation. J'ai pas envie de m'ouvrir au premier con qui me propose de lui faire le topo de ma vie. Ce jour-là, j'ai tout ruiné. Nan, il a tout ruiné. Cet enfoiré qu'on n'a jamais retrouvé. Je m'attendais pas à autre chose, qui s'attarderait sur le cas d'un gamin qu'a fugué ? Ce jour-là, je sortais de la boîte, une simple clope au coin des lèvres. Je traversais sans regarder, on m'a jamais appris à le faire. Et j'me suis réveillé à l'hôpital avec un trou noir à la place du cerveau. Je sentais rien et c'était bien ce qui m'inquiétait ; si j'avais eu mal, au moins j'aurais su que tout marchait. J'ai rabaissé, j'm'en suis rendu compte à leur façon d'me regarder. La pitié, la pitié ; j'avais rien demandé. Ça m'a détruit,  de devoir passer des heures dans un groupe de minables à écouter leurs problèmes. Ça m'a rendu violent, de me rendre compte qu'à chaque fois je me mettais à chialer quand venait mon tour et qu'on me regardait avec une compassion que j'avais jamais demandée. À cause de ce jour-là, aujourd'hui, j'en suis là. Avec mes troubles comportementaux, mes crises de colère. Je sais juste aligner trois mots pour toi. Va te faire.

Ouais, p't'être. J'veux dire, même les pires enfoirés ont du bon. Parfois je m'agenouille, parfois je crois en dieu. Parfois, je fais une bonne action, mais toute cette merde ça dure jamais longtemps. Je pense à mal quand je provoque une bagarre, quand je crache des insultes parce que c'est le mieux que je peux faire. J'essaye pas de m'aider et j'attends pas des autres qu'ils m'aident. Et j'assume tout, même le fait qu'une fois dans la merde, je me tourne vers la religion. Que quand j'étais allongé, complètement défoncé, intérieurement je priais comme j'l'avais jamais fait avant. J'assumes de ne penser qu'à ma gueule et d'espérer quand ça m'arrange, c'est ma part de bonté.

Surement pas. J'aurais été élevé, peut-être bien élevé. J'aurais appris qu'il n'y a pas de monstres sous mon lit, j'aurais bien dormi. J'aurais été plus loin à l'école, j'aurais fait de mon mieux pour mes parents, pour qu'ils soient fiers de moi. J'aurais pas eu besoin de comprendre ce qu'on fait aux gamins trop jeunes qui fuguent trop tard dans le quartier. J'aurais pas eu à imaginer tout ce qui aurait pu nous arriver, à elle et à moi, si on avait eu cette mauvaise idée. J'aurais pas eu à partager ma chambre avec une petite abandonnée. J'aurais pas de remords parce que j'aurais pas eu à la laisser. J'aurais pas traversé, j'me serais pas fait shooté. J'aurais pas fini au plus bat, comme ça. Destin. Je mens simplement, parce que les mots sont trop compliqués pour moi.

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