maman elle a bobo, maman, maman, maman elle a bobo, regarde, c'est rouge, rouge, rouge, maman, maman elle a bobo, maman tu cries et les gens regardent le sol, ils détournent les yeux, c'est la honte, c'est la peur, tu hurles et ils parlent du temps, c'est vrai, c'est vrai que dehors le ciel est bleu mais, toi tu trembles, alors elle prend ta main, elle dit, mon amour, mon amour, ce n'est rien, mon amour, c'est un bâton de couleurs pour me rendre un peu plus jolie, c'est pas du sang, on amour, mon tout petit, ce n'est rien, tu en veux ? et tu pleures et tu pleures et tu pleures, tu es sûr, toi, que ça fait mal, le rouge, le rouge, ça fait toujours mal, c'est comme ça, tu le sais, c'est comme ça. elle hausse les épaules. il lève la main, haut, et il l'abaisse. sur ta joue. rouge. bleue. sur ta joue. tu ne pleures plus. d'une voix calme, il dit putain mais t'as quel âge ? putain mais tu me fais chier. famille de barges. qu'est-ce que j'fous là ? il s'en va et personne ne dit rien. il reviendra. et dans ta tête tu répètes, papa, j'ai treize ans, petit garçon dans corps de presque grand. tu ne pleures plus. c'est maman qui pleure maintenant. au milieu du rayon yaourts. c'est vrai qu'il fait froid.

daphnis. la douceur d'une plume. elle chuchote. elle est poète. tu serres les poings. tu voudrais leur prouver. aux brigands, aux voleurs, aux cowboys, aux drogués, aux loups qui hurlent la nuit, aux princesses, aux sirènes, aux fées, aux muses. tu voudrais leur prouver que tu sais briser toi aussi. c'est elle que tu frappes. sur son épiderme, tu dessines une nouvelle galaxie. de minuscules étoiles de toutes les couleurs. et tu pleures. sur ses lèvres, rouges, le blanc de ses dents et quelques gouttes de sang. daphnis. la douceur d'une plume. ses mains claires sur ta peau brune. son corps de pantin sous ton ombre de géant. c'est toi qui supplies pour que tout s'arrête.

quand tu sors de là, tu voudrais embrasser la vie. elle est là. juste là. la liberté, rien qu'à toi. tu pousses les portes de praesidium et tu murmures que tout sera différent. oui. tout.
mais la vie, dehors, elle est pas pour toi daphnis.
toi, t'es du genre à te noyer dans un verre d'eau.
le naufrage, il est dans ta tête, gamin.
tu tangues, tout seul.
pas besoin du vent.
t'as tout essayé : les bouquins, la musique, la came, les salles de cinéma. partout t'as cherché un refuge, un endroit où te cacher. sur ton chemin, t'as ramassé des pierres et t'as essayé d'en faire un mur.
mais tu n'es pas bâtisseur, daphnis.
tu n'es rien.
si tu reviens, ce n'est pas par bonté de cœur.
si tu reviens, c'est parce qu'ici, c'est ta prison et qu'elle a la taille de tes rêves.

tu sais ce que ça fait de rentrer à la maison ? de poser tes valises et de te dire je suis chez moi. de savoir que, quoi qu'il arrive, quelqu'un t'attendra ici, reconnaîtra le bruit de tes pas et le son de ta voix. oui ? pas moi. je ne sais pas si je suis heureux de revenir ici. mais entre les murs de la prison de mon adolescence, je sais que se cachent son odeur, la trace de mes poings contre les murs, la fumée de souvenirs envolés. je n'ai rien à apporter. j'ai menti au dirlo quand je lui ai dit que, je cite, mon expérience de la vie peut désormais me permettre d'aiguiller les jeunes adolescents perdus, de les aider à trouver une raison d'avancer et je t'épargne la suite. foutaises. aux pauvres gosses, je veux bien leur offrir une clope de temps en temps. la douceur d'une plume les nuits trop noires. un peu d'oxygène, peau à peau. et à moi, l'impression d'habiter quelque part.  

daphnis, le gamin. daphnis aux cheveux doux, daphnis à la gueule d'ange, daphnis mon doux. daphnis sous leurs regards noirs, daphnis qui chiale quand ils haussent le ton. daphnis aux mains de filles, daphnis qui dessinent des pays merveilleux et des filles qui n'existent pas. daphnis, t'es gay ? daphnis, pourquoi t'es là ? apprendre à jouer la comédie. serrer les poings quand elle susurre - mais lui faire promettre de ne rien répéter à personne. praedisium m'a tué, praedisium m'a sauvé.

"j'ai pas d'pote pas d'gang pas d'famille j'ai pas d'dieu que des gants de boxe pour cramer la vie." ma famille, je lui ai dit au revoir un soir de novembre. un couteau dans la main et du rouge sur mon poignet. personne n'avait rien, sauf moi, mais papa gueulait. maman fumait sa centième clope de la soirée. j'étais au milieu. soliste. en plein cœur d'une improvisation dont personne ne connaissait la fin. mais papa, je joue, je suis œdipe et je te tuerai, tu entends ?
et elle, elle, ma seule amie, mon étoile, mes galaxies, je n'ai qu'ici pour redessiner nos errances et nos nuits sans sommeil. tu me crois, maintenant, si je te dis que je n'ai rien à perdre ?