elle a toujours aimé, les bibliothèques.
les étagères qui montent jusqu'au plafond,
l'odeur des vieux livres.
elle marche entre les rayons pour attraper un livre au hasard et elle se couche par terre,
le sol est dur et froid.
c'était tellement mieux lorsqu'elle était enfant.
le soleil il passait par les petites fenêtres de sa chambre et se découpait en plusieurs rayons de lumière sur son visage.
ça faisait des petites particules de poussières, et elle s’amusait à passer ses mains dedans,
à les faire danser devant son visage.
elle regarde son livre, la morte amoureuse de théophile gautier.
elle l'a déjà lu
trois fois.
et à chaque fois
elle ne l'a pas terminé
et à chaque fois les mots lui ont échappés.
ils se sont emmêlés entre eux.
alors cette fois elle va directement à la fin
elle veut attraper les derniers mots, la dernière phrase
les avaler jusqu'à qu'elle ne soit complètement rassasiée.
vite
vite
avant qu'il ne soit trop tard
avant que tout ne s'efface.

- ne.. re-gar-dez j-jamais une f-fe... une femme,...

et elle se met à pleurer.

brusquement elle sursaute.
et merde,
merde,
merde.
y'a quelqu'un.
quelqu’un qui l'a entendue.
quelqu’un qui l'a vue.
au sol.
en
train
de
pleurer.
elle prie que ce quelqu'un s'en aille mais ce quelqu'un s'accroupie
pour lui parler sûrement.
pour lui demander si ça va
pour lui demander si elle a mal et si elle a besoin d'aide.
des conneries.
alors elle étouffe un dernier sanglot dans la panique
elle s'redresse dans l'optique de partir et puis le quelqu'un lui dit :

- tu veux que je te lise la fin ? ce serait bête de t'arrêter là, maintenant, alors qu'il reste que très peu de page.

quelqu'un en fait c'est quelqu'une.
elle sait pas trop pour quoi elle lui parle, la brune.
en général, les filles ici, elle l'aiment pas
eden.
elles la détestent.
alors elle sait peut-être pas qui est eden, la brune.
ou peut-être que la brune elle cherche seulement à se moquer de la blonde.
elle relève la tête, elle l'observe, elle hésite.
elle se met à genoux, renifle une dernière fois.
si elle veut qu'elle lui lise la fin ? eden elle voudrait juste disparaître.
là. tout de suite.

- ça va. elle dit, la voix cassée par les larmes. puis elle renifle encore et reporte son attention sur le livre. j'ai pas besoin.

mais si.
si,
si,
si, elle a besoin.
sa vision se brouille et elle fronce les sourcils.
elle voudrait que les mots bougent, qu'ils répondent à ses questions, qu'ils lui expliquent leur significations mais ils sont fixes. les mots sont morts. et ça la rend triste.
alors, sans dire un mot elle tend le livre à la brune, puisqu'elle est vivante, elle.

elle va pas bien, là
elle est pas bien.
elle voit flou, ça va pas.
sa tête,
ses yeux,
sa gorge,
ses jambes
ramenées contre son cœur.
et puis elle l'a vu, la brune, elle a eu pitié.
alors elle s'est agenouillée et lui a fait la lecture
comme à un enfant que l'on console
enfant colère,
colère sourde.
elle continue de la fixer, son regard se balade sur visage
une vraie visite médicale.
sauf qu'elle a pas d'instruments, la blonde
elle a qu'ses yeux pour pleurer,
alors ça doit pas faire trop mal.
la brune s'applique, elle parle lentement
eden attrape ses mots au vol
silencieusement.

- t'arrête pas. elle murmure.

et puis elle trouve que ça sonne plus supplication qu'autre chose
et puis elle trouve ça pitoyable
et puis elle se trouve pitoyable.
elle gigote un peu, ramène ses jambes plus près
enfonce son menton au creux de ses genoux abîmés.

elle a cette lueur dans le regard
cette lueur pitoyable qui demande refuge.
pour un instant, un très court instant,
le temps de prendre une grande inspiration,
le temps de (re)vivre,
ensuite elle repartira sans rien demander,
sans rien attendre.
elle voudrait un endroit sans rumeurs, un endroit
sans foutus bracelets, sans tout ça.
en attendant de le trouver cet endroit, elle restait là,
allongée sur le sol de sa vieille bibliothèque,
à laisser ses pensées voler entre les différents livres.
alors, pour une fois, elle se laisse aller
bercée par les quelques mots de la mystérieuse brune.
elle finit sa lecture, alors eden lui offre un petit sourire.
comme pour la remercier de s'être arrêtée sur elle
sur son désespoir.
elle n’espère qu'une chose, que la brune ne fuit pas
qu'elle reste,
qu'elle lui explique.
- ça signifie quoi, à ton avis ?

elle a le regard un peu vide,
un air amer sur son visage pâle.
elle semblait si faible à cet instant,
face à cette situation,
face à ce problème.
et puis y'a cette brune, accroupie à ses cotés
la seule qui ait daigné lui parler depuis son arrivée.
parce qu'eden elle est comme une cigarette.
elle se consume.
elle s'barre en lambeaux.
et puis on la laisse tomber.
on la piétine.
et pourtant, à un moment donné on l'a désirée.
on l'a appréciée.
alors elle ne sait pas trop comment s'y prendre
quoi lui raconter.
elle ne parle pas, eden. ou très peu.
en cas de grande nécessité.

- je sais pas.

elle hausse les épaules.

- j'aimerais bien savoir.

elle baisse les yeux.

- tu penses que pourrais... m'apprendre ?

y'a peu d'personnes qui savent.
y'a pas beaucoup d'monde qui connaissent son problème, à la blonde.
y'a peu de gens qui savent, qu'elle n'a pas d'avenir.
qu'elle est condamnée à rester eden la pute,
à rester eden la cinglée.
ça la dégoûte, sa triste réalité qu'elle essaye d'ignorer.
ça la transperce, elle ne laisse rien passer.
elle fait la forte, eden. la puissante, celle qui se fiche de tout.
celle qui n'entend rien, celle qui n'a besoin de rien.
elle n'a qu'une envie, là, c'est de courir aux wc et...
non, pas maintenant. pas là. pas tout de suite.
oh eden.
plus jamais
s'il-te-plait.
elle ne voit pas qu'elle se perd,
qu'elle se désintègre, qu'elle se détruit
qu'elle disparaît tous les jours un peu.
parce-que dans son monde où elle est reine
elle décide où ça commence et où ça s’arrête.
elle craque, une larme perle sur sa joue pâle et disparaît entre ses lèvres pincées.
il faut pas pleurer, pas encore.
ce serait être faible, et elle refuse d'être faible
encore une fois.
la brune a l'air mal à l'aise
alors sans décrocher un mot
la blonde lui sourit comme pour lui dire :
« c'est rien tu sais, c'est pas grave. »
elle ne veut pas savoir. ni comprendre pourquoi elle reste.
juste profiter de cette aura de bienveillance qu'il y a en elle.
juste l'écouter parler.

Spoiler:

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