Ca y est c’est fini.
Ca serre plus a rien de cogner Ginnie, c’est fini je te dis.
T’es finie.

Et tu le sais. Alors pourquoi est-ce que tu continues de frapper les deux personnes qui te trainent dans ce bâtiment que tu connais si bien. C’est pour ton bien, et t’en es consciente. Parce que tu n’as pas ton pareil pour te détruire. Dehors, là-bas, dans ta petite ville, ton quartier pourri. Tu ne peux pas t’en empêcher. T’es obligée de tout faire partir en fumée. En partant du centre, t’y as cru, t’as été naïve Ginnie. Tu l’avais jamais été avant, alors pourquoi tu t’es bouchée les oreilles quand, dans ta tête, t’entendais ces voix qui criaient ? Ces voix intérieures que tout le monde as, qui ne mentent jamais ? En sortant, t’avais promis de ne plus jamais revenir, tu t’es dit « Ca y est, je suis dehors, je suis libre, je suis guérie. » Pourtant c’est faux. T’es détraquée, on t’a abimée, trop secouée pour tenir debout toute seule.

Ah, toi qui regardais les autre jeunes, ceux qu’étaient malades, et tu te disais, perchée sur ton mur, qu’ils étaient bien toqués. Que toi, t’avais juste ton asthme et tes petites crises d’angoisses dans tes bagages. Alors qu’eux, ils avaient toutes ces choses horribles qui leur pourrissaient la vie. Ouais, ils te faisaient peur, ceux qui avaient tués, qui avaient fait bruler des trucs et qui étaient trop dangereux pour dormir à côté des autres quand la nuit vous assommait.
Et maintenant, qu’est ce qui te différencie d’eux ? Rien. T’es comme eux, t’es un cas désespéré, t’es une raclure, aussitôt sortie, aussitôt revenue. Trois mois. Trois pauvres mois dehors. Et t’as recommencée.

Retour à l’asile Ginnie.

Pourtant t’es pas mauvaise. Tu ne bois pas, tu ne te drogue pas. T’a toujours été la faible toi, la fille gentille, trop fragile pour jouer à la marelle. T’es sociable, mais t’aime aussi regarder tes pieds, assise sur ton mur. Quand t’es arrivée là la première fois, t’en a bavé pas vrai ? Petit bout de fille. Rang un. Toi t’as toujours vécu dans ton quartier moyen, avec ton père travailleur et ta mère dépressive. Ils ne sont pas tout le temps-là, mais ils t’aiment. Enfin, ils t’aimaient. Parce que tu le sais que maintenant tu leur fait peur ? Alors quand tu t’es barrée d’ici, tout le monde t’a dit au revoir avec un grand sourire, sûrs qu’ils ne te reverraient pas.  Ca a fait Boum dans leurs têtes, quand ils t’ont vu débarquer.

La gueule en sang.
Les jambes qui tremblent.
Les points qui tapent.
La bouche qui fait sortir cette plainte, coincée entre le cri et les pleurs.

C’est différent. T’es différente. Ginnie, ils croient que t’es passée à l’étape supérieure. Avant tu faisais que voler, mais il t’en a fallu plus. C’est ce qu’ils disent, tous ces murmures dans les couloirs. Mais c’est faux. Toi tu sais. Moi je sais. T’es jamais passée à l’étape supérieure. C’est juste que tu ne t’étais jamais fait choppée. T’as toujours eu cette rage, t’as toujours eu ces moments, qui te prennent à la gorge et t’obligent à cogner. Mais c’était un secret cette chose. Ton secret. T’aurais pas dut frapper cette fois, parce qu’ils t’on vu, et maintenant ils savent tous. Mais ça ne veut pas dire qu’ils comprennent.

Parce qu’ils ne comprennent pas Ginnie, personne ne comprend.

T’es douce, pourtant tu cogne.
Tu te relèves facilement, pourtant tu tombes trop souvent.
T'aimes les gens, pourtant tu t'isoles.

Alors te voilà de retour. Et c’est de nouveau toi, tes crises, tes angoisses, ta rage, tes mains baladeuses, tes sourires, ta fragilité apparente, et ta force cachée.

Oui.
Non.
C’est compliqué.

Quand je tape, au début, ça fait mal. Ça me rend triste. Ça me donne envie de bouffer de la mort aux rats. Je déteste cogner quelqu’un, ça siffle dans ma tête, et ça veut pas s’arrêter. Puis après, une minutes ou deux plus tard, je commence a m'y habituer, a rouer de coups, et ça va bien. Je me sens détendue, comme si on avait enlevé un éléphant de mes épaules. Ça me fait même sourire des fois. Les poings filent tout seuls, et je me sens légère, très légère.

Est-ce que ça veut dire que je suis heureuse quand je tape ? Peut-être bien.

N’empêche qu’après, j’culpabilise. Est-ce que c’est ça le bonheur ? On sourit, et après on a une boule au ventre le reste du temps ?

Moi je ne pensais pas y retourner au départ. Je pensais qu’en sortant, je reverrais plus les autres jeunes. Je me croyais guérie. Et j’ai tout foutue en l’air. Les gens, ils cherchent a savoir pourquoi dehors j’pers la boule, moi je dis seulement que c’est comme ca, c’est la vie. Je sais que pour mon bien, je suis mieux ici.

Ca veut pas dire que ca va marcher.

Je n’aime pas être enfermée ici, après tout j’y suis déjà restée un peu plus d’un an, qu’est ce qui me dit qu’en ressortant, je peterais pas a nouveau les plombs ? Pourquoi ca marcherais mieux ? Aucune raison. J’avais de l’espoir, mais c’est fini.

J’y crois plus, en cette foutue école. C’est pas elle qui va m’aider.

Mais je continue de croire en la bonté humaine, notamment la mienne, et je me dis qu’avec ou sans eux, je vais essayer de changer. J’y arriverais. Je veux pas finir siphonnée.

Alors je vais faire en sorte que ca marche mieux cette fois.

Ouais, il y en a plein. Cette fille brune avec qui je partageais mon dortoir, elle était devenue comme ma meilleure amie. Et puis le conseiller d’orientation, je l’adorait. D’autre élèves aussi, un garçon blond, qui m’a filé des cigarettes une fois, une autre rouquine aussi. Il y en a beaucoup qui m’ont aidés, et j’espère en avoir aidé aussi. J’aime les gens, et j’essaie de faire en sorte qu’ils m’aiment. Je sais pas si aujourd’hui ils seront toujours là pour moi, mais ils l’ont m’ont aidés la dernière fois. D’une façon ou d’une autre. Même si des fois j'aime me tenir loin d'eux, je les aime.

Les gens sont bons.
Les gens sont gentils.
Ils ne cherchent qu’à tracer leur chemin.
Alors je veux les aider comme je peux.
Et parfois, ils m’aident aussi.