Lev, l'enfant sauvage des ténèbres, le loup sanglant, l'ombre qui se glisse dans la nuit.
T'as jamais été qu'un enfant des rues. Un enfant déchu. T'as le coeur abîmé et les paumes écorchées à force de cogner dans les murs et dans les gueules d'ange. Pourtant, Lev, t'as d'l'amour à donner, quelque part. Là. Enfoui sous ta colère profonde. T'as d'l'amour à partager. Là. Roulé en boule sous ton coeur émietté.

T'as toujours pu faire c'que tu voulais, parce que t'avais juste deux ivrognes qui se tapaient dessus en guise de parents. Alors le soir, il t'arrivait de pas rentrer. D'errer dans les rues. D'arpenter le bitume jusqu'à l'aube. Tu piquais dans les caisses des magasins et tu t'achetais des clopes. Au début. Après, t'es vite passé à la vitesse supérieure.

Une nuit t'as rencontré cette fille. Belle et désabusée. Belle à en crever. Puis tu l'as revue le lendemain. Et encore les jours d'après. T'aimais poser ta bouche sur ses lèvres. Elle aimait passer ses mains sur ta peau. Tu aimais glisser tes doigts sous sa jupe et elle aimait défaire la fermeture de ton jean.
Quelques mois plus tard, tu la retrouvais. Étendue dans la ruelle. Les yeux clos. La peau déchirée par des coups de couteau. Visage sanglant. Visage meurtri. Beauté fanée. Piétinée. Anéantie. Elle est là, allongée, mais elle n'a pas l'air paisible. Sa bouche affiche un rictus de douleur. De peur. D'incompréhension. C'est la dernière image que tu emportes d'elle...

Lev, maintenant, t'es juste qu'un vieux con borné qui fume ses gauloises d'un air passif. Lev, t'entends ? T'es plus qu'un vieux con.
Tu craches sur la vie, la mort, les sentiments et toutes ces putains d'conneries. Les jours qui passent sont plus noirs que la nuit. Les jours qui passent sont une hérésie.

Tu te souviens de ce jour où t'es rentré chez toi. Le coeur en peine et l'âme déchirée. Un couteau à la main.
Monter les marches.
1... 2... 3... ...12.
Taillader la peau.
Leur peau.
Drap ensanglanté.
Main tremblante.
Hurlement.
Père et mère ne sont plus.

Lev, t'es qu'un lambeau de peau, une âme déchirée, un corps qui ne veut plus reprendre vie.

Pourquoi j'ai tué mes parents ? C'est une bonne question. Mon avocat a dit que c'est parce que j'étais sous acide. P't'être bien que c'est pour ça. Mon médecin, lui, a dit que je souffrais de TEI. Trouble Explosif Intermittent. P't'être bien que c'est pour ça aussi.

Dans l'fond Lev, tu sais bien pourquoi t'as fait ça. Tu l'sais au moins un p'tit peu. Ces parents c'était pas vraiment tes parents. Non, c'était juste deux ersatz. Deux paumés, drogués et alcoolisés qui passaient leurs nerfs sur toi. Tu leur en as toujours voulu de t'avoir inculqué ce mode de vie. C'est eux qui ont fait de toi ce que tu es. Leur faute. Pourquoi toi t'as pas eu droit à une enfance normale, hein ?
Puis, le jour où Elle est morte, t'as juste eu envie de tout détruire. De tout réduire à néant. T'as d'abord cogné tes poings contre le premier venu. Un pauvre mec qui passait par là. Tu l'as cogné jusqu'à que tes phalanges blanches soient rougies, jusqu'à ce que ta peau laisse place à la chair. Tu l'as laissé là. Inerte sur le sol. Puis t'es rentré. T'avais toujours cette envie de semer le chaos et la désolation sur ton passage. De faire aussi mal que l'image de son visage défiguré te l'avait fait. Alors t'as attrapé un couteau qui traînait sur la table basse du salon. T'es monté et tu les as juste tués.

Ce que ça t'a fait ? Rien. T'aurais voulu que ça t'apaise, que ta colère se dissipe. Mais il ne s'est rien passé. Absolument rien.

Je sais pas. Tu sais plus. J'ai tellement de haine en moi. Tellement d'amertume à évacuer. Moi j'sais pas faire autrement que de cogner. C'est ma façon à moi de m'exprimer. J'veux pas faire de mal, je veux juste plus avoir mal.

Mon coeur, il est foutu.

Ton coeur il est trop douloureux. Il a été noircit par ta courte vie. P't'être bien qu'un jour t'arrivera à recoller quelques morceaux. Mais pas tous. Y'en a que t'as perdu. Pour de bon.