(re)descente aux enfers. (daphnis)

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Si je gerbais sur le carrelage, est-ce que ça se remarquerait ? Et si je m’éclatais la gueule dessus, trahie par la hauteur vicieuse de mes talons, est-ce qu’on verrait le vilain violet sur ma blancheur de cocaïnomane ? Putain ce qu’on pense des trucs cons à six heures du matin, j’en tends la tête en arrière, la gorge et la bouche transpercées d’un rire qui m’fait mal – sûrement parce qu’il rit de moi, de moi et d’ma blondeur explosée (feu d’artifice tout d’or, tout doux), sublime pathétique. Y’a encore une heure j’me croyais surpuissante, assez forte de moi-même pour renverser la Terre entière – Atlas rebelle, nouvelle Atlas blonde et belle – ; et là j’me dégoûte au point d’penser que j’ai aucun intérêt à vivre. Pas pour moi, encore moins pour les autres (la preuve, papa et maman ont pas hésité une seconde à m’jeter loin loin d’eux). J’veux mon lit. J’veux les caresses-oubli de Morphée (ou celles de...), j’veux l’privilège de plus exister moi aussi.
Ou alors j’veux quelqu’un à entraîner dans ma chute.

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garder les yeux ouverts.
lutter contre le sommeil, attendre que le huitième café de la nuit fasse enfin effet.
et déambuler, encore, dans le dédale infini des couloirs.
tendre l'oreille au moindre bruit, retenir son souffle, sursauter, se faire peur tout seul, comme un con.
encore une heure.
encore une heure et je pourrais plonger au fond de mon lit.
fermer les yeux et oublier.

le pion qui était de ronde cette nuit avait un truc à faire en ville. une histoire de tequila et de fille à sauter - un truc un peu glauque, j'ai pas tout compris, mais j'ai dit oui, oui, je te remplace, allez, dégage.
et maintenant, j'ai l'impression que je marche depuis mille ans et la certitude ténue que ça ne s'arrêtera jamais.

c'est un rire qui me sort de ma torpeur.
un rire retentissant, à deux doigts de me glacer le sang.
j'accélère le pas, droit devant, et tombe nez à nez avec blanche et sa pâleur d'un autre monde.
putain.
c'est la fatigue qui parle à ma place, d'une voix un peu rauque et usée.
qu'est-ce que tu fous là ? déjà debout ou pas encore couchée ?

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Et toi qu’est-c’que tu fous là ? allez barre-toi, je manque de lui dire, à Daphnis, mots corrosifs qui perlent sur mon sourire de démente comme des gouttes d’acide. J’le fixe, sa silhouette haute aux lignes estompées dans l’aquarelle aux teintes innombrables de noir, ses prunelles qui luisent d’une lumière sombre. Ses yeux contre les miens – bleu glacé bleu cassé. Frisson malsain, rictus assassin. « Bah... les deux. » J’renifle, glisse l’index sous mes narines (prudence-inconscience du drogué). « Et toi alors, tu t’cherches une compagnie ? ‘Fallait aller en ville. » Mais t’es un peu conne, Blanche, et puis tu détonnes avec ta robe toute serrée toute courte qui cache rien de ta maigreur – et ta peau livide toute tachetée de rouge de bleu de violet constellation de désirs trop brutaux pour ta souveraine fragilité. Je m’adosse à un mur, soupire en y laissant reposer ma tête. « T’aurais pas une clope ? »

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mes yeux courent de son visage à ses jambes presque nues, tâchées de folles couleurs. les os, saillants. la peau, trop fine. traces de doigts, de coups, de murs et de sols. traces de vie, à même l'épiderme.
ne pas s'y arrêter. remonter au visage, vite. et me prendre en pleine gueule son sourire amer.
fière d'elle.
les talons plantés dans le sol.
son ombre, immense, derrière elle.
et sa voix, sa voix qui s'envole et qui retombe, sa voix comme mille petites lames trop bien aiguisées.
la lassitude me fait tourner la tête,
ses attaques m'obligent à sourire.
minuscule rictus sur mon visage tiré.
elle s'adosse au mur, princesse déchue, corps de pantin désarticulé, idées vagues, sûrement.
t'as rien à faire là. tu devrais être au lit.
ma voix est basse.
je n'ai pas envie de me battre. pas avec elle.
et ce que je fais ne regarde que moi. quelque chose comme vérifier que les gamines comme toi sont bien endormies, par exemple.
j'ai mal au crâne. j'attrape deux cigarette. une pour elle. l'autre pour mes lèvres.
doucement, je me laisse glisser au sol.

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Pas de merci, pas de regard adouci quand j’arrache indolemment la clope à ses doigts – longs et fins, faits pour chanter la vie sur un piano ou un corps de femme. Douceur qui m’écœure, parce que j’ai pas d’cœur ? Joli robot de chair aux rouages cachés sous des sourires automatiques, y’a pas d’quoi être jaloux, pas d’cœur pas d’douleur (pas d’bras pas d’chocolat, et puis comme ça pas d’kilos en trop). Il m’fait rire à s’donner des airs de vrai adulte, j’ai envie d’lui tirer les cheveux. Y’a sérieusement quelqu’un d’assez faible ici pour lui montrer du respect, au p’tit agneau qui prétend maîtriser une meute de loups enragés ? Haha. Hahaha. Hahahahahahaha[...]ha. « Tu l’vois pas mais là-d’dans – d’un doigt tremblant j’désigne ma tête – j’dors déjà. » Ou alors j’y meurs déjà. On nous dit que fumer tue mais dès qu’je serre le filtre entre mes lèvres gonflées d’envie j’me sens revivre – c’est malsain, ça, vivre par la mort, c’est drôle toutes ces contradictions létales en moi. « Tu t’sens pas trop seule dans la nuit alors, Raiponce ? »

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le sol est froid. le sol me happe, le sol m'avale. sables mouvants.
je voudrais m'y endormir,
m'y oublier,
juste assez longtemps,
assez de temps,
pour laisser blanche disparaître,
pour nettoyer le couloir,
d'un coup de vent,
qu'elle se taise,
putain
et son regard,
ses yeux qui tentent de tuer,
qu'ils disparaissent,
qu'ils aillent jouer avec un autre pantin,
un autre idiot,
comme moi.
elle fume, la poupée blonde, la sulfureuse aux cernes bleues, l'insoumise, l'imprévisible,
la sauvage à la peau trop claire,
ses lèvres sur ma cigarette.

(je voudrais voir à quoi tu ressembles quand tu dors,
je voudrais voir si tes yeux lancent toujours des éclairs muets,
je voudrais voir si ton souffle, calme enfin, pourrait bercer les rêves d'un autre,
je voudrais voir ton tes bras qui se relâchent,
et ton corps qui ne joue plus à être un spectacle.)

raiponce, dit-elle.
raiponce.
je souris, un peu jaune, un peu rouge, un peu blanc - fatigue.
si. souvent. les nuits sont longues. aspirer la fumée, puis la relâcher.
à quoi bon raconter ses peurs à la gamine qui rit comme une trop grande ?
mes doigts s'agitent sur le sol gelé.
mais tu vois, t'es là. seule aussi. et on partage une clope.
aucun sous-entendu.
aucune ironie.
la voix douce et rouillée.
tu veux pas t'asseoir ?
tu veux pas qu'on parle ? tu veux pas dormir ? tu veux pas, toi, arrêter de faire semblant ?

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Je baisse les yeux pour observer Daphnis – Daphnis tout petit à mes pieds, Daphnis par terre tel un jouet abandonné (mince rire tremblant de folie, souffle de bébé-dragon). J’pète un câble (ou deux, ou trois, ou quarante-six milles), c’est l’endroit le pion barbu la redescente de coke le noir les ecchymoses entre mes cuisses malmenées... j’inspire avec peine et glisse contre le mur. Aussi bas que lui. Les yeux révulsés (les paupières s’abattent sur la torture bleu d’hiver bleu de verre). Bah voilà, j’suis assise, j’marmonnerais si j’avais pas la bouche toute cotonneuse – j’imagine que c’est tout plein de pissenlits qui débordent de mes lèvres, et qu’une brise d’été anime l’incroyable montée de neige dans le ciel, vole vole vole jusqu’aux nuages. « ... J’suis pas seule. » J’aime pas ta gentillesse, beau brun qui hante les couloirs. Parce que pour toi même si les nuits sont longues, c’est pas grave, t’auras quelqu’un à qui sourire en prenant ton café fumant ta clope, moi en m’réveillant j’serais trop prise à pas m’tirer une balle dans la tête pour savoir qu’il existe des gens autour de moi. « Toi la journée quand tu souris aux gens, c’est pour de vrai ? Ou c’est pour cacher que toi aussi t’es un mal-fait comme nous ? » Sourire de Moire, vicieuse victoire – j’entends les Enfers gronder sous moi.

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la poupée se pose, juste à côté de moi.
son souffle tremble,
elle inspire mal,
elle expire de travers,
cette gamine qui se casse la gueule,
cette gamine aux pensées poudrées de blanc,
cernes bleues,
sourire brisé.

la solitude comme une honte
qu'elle envoie balader au loin.
la solitude
pire que la drogue
pire que les bleus sur sa peau
pire que la fatigue
pire que les nuits vides.

t'es pas seule ?
t'es pas seule comment ?
t'es pas seule pourquoi ?
regarde-toi.
t'es pas seule,
hein,
j'suis le seul à être seul,
c'est ça ?

et puis, ses mots m'achèvent,
les lames,
encore,
les lames.
elle sait viser, la gosse,
en plein dans le mille.
un mal fait,
un bancal,
comme les autres.

ça se voit tant que ça ?

ça gronde dans ma tête.
ça gronde, ça bout, ça déborde.
mon semblant de sourire se brise.
boum badaboum,
daphnis
comme un gosse
les genoux
et la gueule
écorchés.

je sais sourire vrai
comme pour se défendre, le regard sur le sol,
je sais être vrai
additionner les mots pour oublier mon propre naufrage
mais
baisser la voix
peut-être
expirer
que je suis bancal
les dents qui mordent l'intérieur des joues
comme toi
les mots sont crachés.

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Bancal, bancal comme toi. Ta gueule putain, ta gueule, pas le droit d’dire des trucs comme ça, t’as pas l’droit d’dire des trucs comme ça, t’as pas l’droit ! Les ongles de mes poings serrés grattent frénétiquement contre le carrelage – symphonie dissonante de ma rage telle l’ire divine qui a le pouvoir de tout ravager. Tout ravager, ouais, à commencer par le visage trop doux les mots trop durs du pion à côté d’moi. J’ai envie de le tuer (mais si j’le tue, jamais j’sors d’ici, jamais). J’veux l’tuer de l’intérieur, à coups d’mots qui accablent de maux, lui cracher tout mon acide à la tronche – ça brûlerait, brûlerait, et il arborerait pour toujours les stigmates de ma haine pleine de peines. « J’suis pas bancale. Moi j’aurais jamais la connerie de revenir ici d’mon plein gré. » Je penche ma tête vers le plafond, mon regard rencontre un infini de noir, comme un puits à l’envers. Fumée qui monte et disparaît (elle va où ?). « En fait t’es venu t’cacher ici parce que t’as pas les couilles de vivre, pas vrai ? » Et mon regard qui divague sur ses traits, qui en écorche le tracé délicat.

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