« On peut se représenter le sommeil sous plusieurs formes. Écharpe grise, écran de fumée, sonate. Vol plané d’un grand oiseau pâle, portail vert entrouvert. Plaines. Mais aussi nœud coulant, gaz asphyxiant, clarinette basse. Insecte rétracté sur sa vie brève, dernier avis avant saisie. Rempart. C’est une question de style, c’est selon la manière dont chacun dort ou pas, selon les rêves qui l’éborgnent ou qui l’épargnent. »
— Les grandes blondes, Jean Echenoz

je rêve. de toutes les couleurs, je rêve. je ne dors pas beaucoup, tu sais, je sursaute au moindre cri mais je rêve. je rêve surtout deux yeux dans la nuit.
me laisserais-tu te dessiner des rêves ? quelques mots contre une nuit de sommeil ?

j'ai su dessiner. maintenant, mes doigts tremblent un peu.
dessiner et rêver, quelle différence ?
je rachèterai de l'aquarelle pour te peindre des douceurs. un monde couleurs pastelles.
avec des mots, on peut faire des croquis ?
je veux bien essayer.
mais il faut que tu rentres dans le jeu.
que tu fermes les yeux.
que tu acceptes d'y croire, un tout petit peu.
(il faut, aussi, que je te dise un secret.)

je tremble parce que j'ai froid.
de quoi as-tu peur ?
je veux bien m'essayer à l'encre de chine et tâcher le papier blanc de noir. est-ce que tu crois que ça fonctionnerait mieux ?
(ah. oui. tu devrais sourire plus souvent. tu es plus jolie quand tu souris.)

mon cœur ? qui se soucie de mon cœur ? mon cœur sonne un peu creux.
et le tien ? il papillonnera ?
tu ne leur ressembles pas. tu n'es pas comme eux.
il faut que tu fasses attention. il faut que tu sortes. tu sortiras. pas demain, mais presque. j'y crois.
j'achèterai du noir pour te peindre des rêves.
de quoi voudrais-tu rêver ?

(oui. je crois que j'ai surpris un de tes sourires.
comme une goutte d'eau qui se noie dans un lac trop calme.
quelques vaguelettes et. plus rien.
furtif.
presque invisible.
c'était joli.)

joe. joe. joe. je sais ce que je vais dessiner.
je vais dessiner ton ombre.
ton ombre immense qui se perd dans les dédales, les couloirs, les labyrinthe.
et au milieu une tâche blanche.
une tâche assez grande pour ton cœur.
une creux. une cabane, une cachette, un coffre. tu pourras y glisser mille et une choses.
des cailloux.
des souvenirs.
des soupirs.
des étoiles.
des nuits.
des bateaux en papier.
les doigts d'un garçon.
les cheveux d'une fille.
la morsure du vent.
une feuille d'automne.
une bulle.
des perles.
tout ce que tu veux.
d'accord ?
ton ombre et ton cœur.
tu verras.
et tu sortiras. crois-moi. crois-moi, s'il te plaît. tu sortiras.
fais attention.
fais attention à toi.

(cesse.
ton sourire, il était comme ça.
tes lèvres -gercées- qui s'étirent.
c'était rien du tout.
j'ai peut-être rêvé.
mais ton sourire, il était comme ça.)

tu as raison.
peut-être que c'est une histoire d'âge.
mais les enfants aussi, ils ont des trucs dans la tête. des choses qui débordent.
peut-être que je suis juste un enfant.
et que je déborde.
faire attention c'est comme
marcher sur un fil.
en équilibre.
et regarder le vide
mais ne pas être tenté
jamais
de le rejoindre.
et je n'y peux rien, moi, quand je te regarde d'en bas.
essayer de te rattraper, tout au plus.
mais ce sera, déjà, trop tard.

(j'arrête. si tu veux j'arrête. mais "des choses comme ça" c'est comme dire que la terre est ronde. c'est juste dire la vérité. t'as pas à avoir peur, joe.)