y'a le lycée.

eden elle est pas douée pour lire, ni pour écrire. eden elle retient pas les dates, ni les formules. eden elle chantonne en cours, elle fait des trous dans ses collants. sur le papier, ses mots se pressent, s'emmêlent, s'dispersent, puis s’effacent. eden elle s'met toujours au fond d'la classe, à gribouiller des trucs sur la table silencieusement.
puis y'a trop d'rumeurs, trop d'regard indiscrets. son prénom sur les lèvres mais pas dans les coeurs. eden elle est un peu marginale, un peu solitaire, un peu sauvage. et puis personne ne vient lui parler, et puis personne ne veut la fréquenter. eden, des jupes trop courtes. eden, des lèvres trop rouges. ils s'font tous un malin plaisir à la voir s'abandonner entre leurs cuisses le soir et à l'insulter le matin. et elle les laisse faire. elle a les épaules larges, tu sais. elle peut supporter tout ça. parce-que de toutes façons à quoi ça sert ? elle restera toujours eden la putain, eden la cinglée.

il parait qu'on la voit fermer la porte à clefs après qu'tout l'monde soit sortit du cours de maths, et qu'c'est pour ça qu'elle a de si bonnes notes.

il parait même qu'elle a essayé d'se suicider la nuit dernière, et qu'du coup on a été obligé d'l'enfermer dans sa chambre.

mais elle sait plus trop, elle y croit plus trop, à la fin. c'qu'elle fait, c'qu'elle fait pas, c'est tout flou maintenant.


y'a le miroir.

c'qui est bien avec les miroirs, c'est qu'ils ne te mentent pas. si ils n't'aiment pas, ils n't'aiment pas. ils te montrent c'qui a à voir, ils n'te ménagent pas.

elle fixe son reflet. qui c'est, putain ? elle ne sait pas, elle ne sait plus.

elle regarde ses jambes.

hématomes
bleus,
bruns,
noirs.
certains tirent sur le violet.

des anciens, des récents. marques du passage de la haine sur sa peau de porcelaine. quelques fois, c'est le poing. non. souvent. et elle s'trouve pas belle, là, putain.

et qui pourrait trouver ça beau, d'ailleurs ?

elle fronce les sourcils, elle pleure. mais elle est encore moins belle les yeux mouillés. alors elle s'énerve, serre les poings, serre les dents.
arrête ça, bordel. t'sais qu'ça sert à rien.
elle court au wc, plonge directement ses doigts vicieux au fond de sa gorge.

doucement, mon ange. tu pourrais te faire mal.

elle gratte au fond, tousse. elle vomit, ses yeux pleurent. l'odeur la dégoûte, mais elle continue. et puis y'a ce goût qui l’écœure au fond de sa gorge, saveur de sa pitoyable existence. alors elle gratte, gratte, gratte, gratte. elle ne peut plus s'arrêter. et puis elle s'met à pleurer.

tu l'a cherché, traînée.

et puis y'a lui.

lui il est là.
il est là pour le café froid le matin,
et pour grimper aux arbres le soir.
il est là pour hurler aussi,
pour cogner fort contre le mur,
pour la faire sursauter.
et puis pour la prendre gentiment dans ses bras
pour lui dire qu'c'est rien, que tout va bien.
il est celui qui lui a tout prit
qui lui a tout apprit.
lui.
sourire aux lèvres, lèvres irrévérencieuses
sourire qui caresse, sourire qui trompe.
amoureux des dames,
amoureux des drames.
il a les doigts baladeurs,
tantôt sur vos fesses, tantôt dans vos poches.
et elle sait pas quoi faire, elle
pour le réparer.
alors elle le regarde faire.
il la regarde du coin de l’œil,
parfois,
tout le temps.
alors elle s'pose des questions.
et ils volent.
tous les deux à leur manière,
différentes choses,
mais ils volent.
ils n'auraient jamais du se rencontrer ces deux-là.
eden, faut lui parler légèrement, avec des mots doux, la douceur de la langue.
on rêve avec elle, elle reste dans son monde à l'abri,
et si elle nous le permet, c'est à nous d'entrer
jusqu'à ce qu'elle décide qu'il est temps pour nous de s'en aller
définitivement.
lui, il prend tous les droits, il vole à la tire, vole à la vie, jusque dans vos rêves.
un jeu pour lui, une guerre pour elle.
il est maître du jeu
chef de guerre
et elle est son ombre
des sourires, des pansements, des baisers volés sur sa peau meurtrie.