Moi ça se compte comme les étoiles dans mes yeux (pas beaucoup) :
Brandon, raté
Et Charles.
Tu fais vite fait le tour et puis t’as envie d’en refaire un.
Charles, il est beau, et ses poignets sont les plus beaux du monde parce que c’est les premiers que j’ai pas envie de casser en deux.
- J’ai fait ça une fois. J’veux dire, j’ai vraiment fait des trucs d’amoureux une fois avant… avant maintenant.
Des trucs d’amoureux.
Je crois que y en a une infinité, jusqu’au bout du monde, une liste trop longue pour les feuilles à carreaux sur lesquelles j’essaie de faire de rendre mes mots moins gribouillis, je crois qu’on peut même pas les énumérer d’un coup sans perdre son souffle comme quand je cours, mais bon, j’y connais quand même rien.
Je suis pas fait pour être un amoureux de toute façon.
Je casse un peu trop tout.
- Tu verras, quand tu seras moins sauvage, et tout ça. Ça se passera bien.
Il se sert du futur pour parler de moi et ça me fait bizarre parce que c’est la première fois que ça m’arrive, c’est la première fois que quelqu’un fait ça, parce que Charles, Charles il voit pleins de choses chez moi que les autres prennent même pas la peine de chercher.
Le futur.
Ça me fait peur aussi parce qu’il se met pas dedans.
Charles, c’est le seul que j’ai pas envie de cogner.
Ça veut dire quelque chose non ?
Je sais pas si je pourrais respecter les doigts et les mains et les bras de quelqu’un d’autre.
Je range les couteaux, les arbalètes, les sabres laser, les pistolets, les griffes, les crocs, les guillotines, les cordes, les fourchettes, les broches, les ciseaux, mais je peux pas en faire plus, ça s’arrête là et moi ça m’essouffle déjà.
- Tu seras où, toi ?
Ma voix tremble et elle a aussi peur que quand mes poings viennent de tomber sur quelqu’un et que je voulais pas, vraiment pas, comme pour le câlin avec mon frère.

Ses épaules savent pas.
Ça veut dire que lui non plus.
Et c'est ce que sa bouche me dit.
- Mais tu vas sortir d’ici, hein ?
Je le regarde comme si je comprenais pas.
Y a certains verbes, c'est encore pire que les gestes ou la gentillesse, j'ai du mal à capter, ça percute pas, ça résonne dans tous les coins de moi mais à part ça ...
- Tu veux aller où, quand tu sortiras ?
Je fais une tête de sept astéroïdes de long (et même si c'est pas ça l'expression c'est pas grave, ça veut dire presque pareil non), je m'allonge sur le lit avec les yeux au ciel et surtout parce que comme ça ma tête a l'air moins lourde.
Dehors ça a failli me tuer, ça a déjà essayé.
- Nulle part. J'préfère me casser moi même en deux plutôt que sortir d'ici.
Je préférais quand on apprenait à s'embrasser.
Ou quand on parlait pas.
J'aimerais lui dire pleins de choses quand même, t'imagines si je me fais des amis et que je suis pas capable de les prendre dans mes bras sans les faire disparaitre pour la vie ?
- J'en suis pas capable.
Et ma voix, elle essaie d'avouer ce que j'ai fait.
Mais ça veut pas passer le barrage de ma bouche qui abritait y a même pas un quart d'heure celle de Charles, elle s'acclimate pas à la nouvelle conversation, elle bloque pour garder des jolies choses de son côté.
Charles il doit pas se rendre compte.
Il me connaît pas.
Il sait pas, quand il me regarde taper les autres avant de venir me chercher, il sait pas que quand je suis en train de faire ça je me pose une seule et rien qu'une seule question, il est loin, il est encore loin le poing qui tuera celui qui se débat sous mes doigts ?
Et si je le tue, qu'est-ce que ça fera ?
Et si un jour quelqu'un d'autre que Charles veut tenir ma main et que j'y arrive pas ?
Hein ?

Je le regarde.
Je me demande si parfois il est moche.
Je connais pas Charles, mais je sais qu'il est beau et je sais que la beauté ça joue pour cinquante pour cent de la chute amoureuse même si Charles m'a dit le contraire tout à l'heure.
J'ai entendu dire aussi qu'en amour y a pas de notice.
Qu'on fait comme on veut
Et que ça peut partir dans tous les sens aussi.
- Moi j’suis sûr qu’t’es capable, Steve … J’suis sûr.
Je fais non de la tête, une fois plein de fois, avec des larmes qui tremblent dans le menton.
Je le sens qui s'installe contre moi, nos bords de corps se touchent, ça fait une arrête de réconfort.
Ma seule proximité avec les gens c'est les bagarres.
Y a que comme ça que j'ai un peu de chaleur humaine.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Sa voix est minuscule parce qu'il a pas envie de savoir.
Ça tombe bien parce que j'ai pas envie de le dire.
Enfin si ?
Enfin non ?
J'ai pas envie qu'il aille demander aux docteurs qui raconteront pleins d'horreurs et que je suis malade et tout ça alors que je voulais juste que mon petit frère, il comprenne un peu à quoi ça ressemble, l'amour fraternel.
Je cherche ses doigts avec les miens (chasse au trésor), je les attrape et je les sers dans les miens.
C'est pas pour faire mal.
C'est pour aller un peu mieux.
- Je m'ai tué parce que je voulais juste prendre Brandon dans mes bras.
Et si je me mets à pleurer, est-ce qu'il va me taper ?
Parce que moi, c'est ce que je ferais.
Les gens qui pleurent ça me rappelle trop moi, et moi, si je m'avais en face, je me cognerais jusqu'à ce qu'il reste plus rien, même pas un souvenir.
(Même si ça ramènera pas Brandon.)

J'ai peur, j'ai plus peur de moi j'ai peur de lui.
J'ai peur de sa peur, j'ai peur qu'il secoue nos mains pour récupérer ses doigts, qu'il me regarde avec des yeux noirs des yeux qui disent mais ça va pas mais t'es dingue mais lâche-moi, alors c'est comme ça l'amour avec toi hein, t'enlaces et tu casses, c'est ce que tu vas me faire c'est ça ?
Mais non
Mais non
Toi, je touche de loin.
Et je touche bien.
- Mais ça va aller, d’accord ?
Oh.
Sa voix est toute douce comme ... un peu comme les larmes du ciel qui s'écrasent contre les fenêtres et qui coulent sur leur visage.
Ses cheveux sont doux aussi.
Ses cheveux dans mon cou.
J'y avais jamais pensé avant à ses cheveux, je crois que je les regardais même pas, mais maintenant qu'ils sont contre mon cou je les trouve très intéressants, j'ai envie de les toucher aussi, je sais pas si ça peut faire mal ça.
Je respire en tous cas.
Je respire ce que j'ai oublié de respirer le temps d'avouer.
Ça fait soupir de soulagement, très très lourd de larmes.
Ça s'entend, même.
Je libère mon bras coincé contre lui et puis je crois que j'arrive à « l'avoir serré contre moi ».
- Et ... et toi ?

Je voudrais serrer son pull pour lui montrer aussi que je suis là, que physiquement je suis avec lui, que je le lâcherai pas même si là il est pas en train de tomber, mais j'ai peur d'attraper la peau avec ou de briser sa colonne vertébrale entre mes doigts.
J'ai pas envie d'enterrer Charles aussi.
J'ai pas envie qu'on me dise encore c'est de ta faute.
J'ai envie de réussir Charles.
- Je … j’ai complètement déraillé. Ça a fait un coup de tonnerre dans la maison. J’ai mon poing dans le miroir de la salle de bain puis mes mains autour du cou de papa et je serre et je serre et je serre
Il regarde son poing.
Moi aussi.
C'était sûrement la première fois qu'il le faisait marcher.
Moi, je comprends pas pourquoi ça fait des nœuds dans sa voix parce que dans ma famille on a toujours appris à frapper les autres, c'était une habitude, une manière de vivre.
Je l'avais dit que c'était un ange, Charles.
Je pose ma main sur son ventre.
- Lâche
je dis.
C'est tout serré là-dedans.
Il va être musclé mon Charles.
Est-ce qu'on est des amis maintenant ?
Est-ce qu'on est autre chose que deux garçons qui s'allongent à côté toute la journée en disant rien et en balançant les jambes dans le vide qu'ils ont creusé autour d'eux ?
C'est quoi des amis qui s'apprennent la tendresse avec des baisers ?
- Pourquoi tu me le fais jamais, à moi ? Pourquoi tu serres et tu tapes jamais ? C'est bloqué ?
C'est pas que je demande des coups.
C'est que je voudrais savoir quel truc fait que nos poings se rangent quand l'autre arrive ?
Quelle petite bénédiction.
Est-ce que c'est un cadeau ?

Son ventre s'aff ... se ... retombe, quoi.
Relâche, redescend, calme.
Je laisse ma main pour être sûr qu'il va pas recommencer parce que c'est des coups à avoir des courbatures tous les jours de l'année, ça, déjà que y a les bleus, ça suffit au bout d'un moment.
- Mais j’ai pas envie de te frapper et encore moins de t’étrangler
Il s'est relevé comme si ma question ça le choquait.
Il me rend ma main, mon cou, mais mon corps y pense encore, dessus ça fait comme des marques j'en suis sûr, comme des restes de lui, comme des souvenirs, comme un bleu mais du genre qui fait pas mal du tout.
Un bleu d'amitiéamour.
Je le regarde avec la bagarre dans ses yeux.
Ce qu'il vient de me dire ça ressemble à un je t'aime et c'est encore mieux que ça même.
C'est interstellaire.
Je sais pas trop quoi répondre parce que je sais pas dire je t'aime et je sais encore moins faire de déclarations.
Alors je dis juste et en le regardant
- Tu seras toujours mon ami.
Même quand on s'embrassera
Même quand tu seras plus là
Même quand on se frappera
Même quand.