Une de tes mains
Trempe dans l'eau
Pendant que ton dos
S'appuie contre l'arbre

Arbre près du lac
Terre près de l'eau
L'endroit te plaît
Vraiment bien

Tu remontes tes genoux
Tout contre ta poitrine
T'y poses ton menton
Et tu fermes les yeux

Inspire,
Expire
Sans bruit
Respire

Tu vois plus rien
Et t'essayes d'imaginer
Que Sacha voit
Toujours tout comme ça

C'est pour faire
Comme elle
Que tu gardes
Les yeux clos

T'essayes de percevoir
Le monde
Sans tes yeux
Mais c'est dur

T'es pas très douée
Pour ressentir
Juste avec
Ton cœur

Alors tu respires
Tout doucement
Calmement
Peut-être que ça aide

T'as conscience de l'eau
Qui clapote contre
Ta main tiède
Et contre le rivage

Tu l'entends
Tu sens l'arbre
Dans ton dos
Solide

T'aimes les arbres
Ils sont toujours là
Forts, droits
Confiants

T'aimes bien l'eau aussi
Elle bouge, change
Ondule, clapote
Chante (?)

Mais t'as du mal
À voir plus loin
Comment elle fait
La jolie Sacha ?

Comment elle fait
Pour que des fois
T'aies l'impression
Qu'elle voit mieux que toi ?

À penser à elle
Aux moments-bijoux
Aux baisers, surtout
Tu souris dedans

Mais dehors, ça passe pas
C'est passé pourtant
La dernière fois
T'as souris

Mais après
C'était peut-être
Parce que t'étais
Avec elle

Peut-être que
Sans elle
Y a plus rien
Qui marche vraiment ?

Tu commences à sentir
L'herbe autour de toi
Tu la visualises
Presque bien

Mais en même temps
T'imagines les couleurs
Et il faudrait pas
Mais tu peux pas faire autrement

Ça doit pas être
Facile
De ne rien
Voir

Et Sacha
Tu l'aimes encore plus
De continuer à vivre
Sans ses yeux

T'es pas sûre
Que tu pourrais
Toi, à sa place
T'es pas sûre

Tu restes comme ça
Un bon moment
Le visage lisse
Sans expressions

Et tu te sens
Calme
Bien
Apaisée

Mais une respiration
Trouble ton silence
Pas régulière
Un peu saccadée

T'ouvres pas les yeux
Peut-être que la respiration
Ne t'as pas vue
Et tu veux être tranquille

Alors tu ne bouges pas
Mais t'as pas l'impression
Que la respiration s'éloigne
Ni qu'elle se calme

T'as plutôt l'impression
Qu'elle
Se
Rapproche (?)

Tu l'as vue.
Elle est revenue. Tu repousses ta psychiatre qui te tend une plaquette de pilules colorées. Tu l'as vue. Là. Juste là. Avec cette démarche un peu étrange, ce balancement des hanches délicat. Des cheveux blonds. Oui. C'est elle. Revenue d'entre les morts pour te châtier.

Tu la repousses plus violemment encore. Tes mains ne se maîtrisent plus. Tu trembles et les mots que tu prononces sont incohérents et incompréhensibles. Tu sais qu'elle est là. Tu le sens au plus profond de toi-même. Elle est revenue pour te voler de nouveau ton royaume, pour détruire tout ce que tu avais réussi à reconstruire. Tu pousses la porte, et la referme en un bruit du diable. Tu dévales les escaliers en bousculant tout le monde. Tu ne maîtrises plus tes mains. Tu pourrais frapper quelqu'un. C'est la colère qui parme en toi.Ce besoin de vengeance. Tu ne peux décemment pas la laisser faire. Elle pourrait causer du tort à des gens que tu aimes. Elle pourrait essayer de te refaire plonger, alors que tu t'en sors enfin sans couronne qui te fait planer. Tu cours. Tu ne la vois plus, mais il y a son parfum. Le même. Toujours le même. Et puis il y a cette odeur de sang. Tes pensées sont embrumées.

Il y a des voix. Des voix qui te cirent que tu dois le faire. Tu dois la tuer de nouveau pour ne pas qu'elle te fasse tomber de ton trône, pour ne pas qu'elle amène le Mensonge sur ton Empire. Elle les soignerait. Il ne faut pas qu'ils soient soignés. Tu as besoin de Teora, là. Mais d'abord tu dois la tuer, de nouveau. Tu la tueras, tant qu'il faudra, mais il ne faut pas qu'elle revienne, même si c'est ton Châtiment. Peut être que tu es déjà mort, peut être que tu es déjà en Enfer, mais tu t'en fous. Tu ne peux pas la laisser faire. C'est interdit, impossible. Elle n'a pas le droit de revenir, c'est contre-nature contre tes lois, contre tout ce en quoi tu as toujours cru. La Mort est au-dessus de tout le monde, au même niveau que la musique et que Teo.

Tu cours. Tu cours, partout. Ton esprit s'éparpille. Tes étoiles veulent plus faire des pensées, des constellations. Tu sais plus penser droit. Il y a juste les mots Tuer et Cara qui reviennent. Juste ceux là. Tu n'as rien cette fois-ci. Elle aura peur, encore. Elle criera, encore. Comme toujours. Mais tu ne peux plus supporter cette odeur de sang qui lui sert de parfum, sa peau rêche et pas agréable à caresser. Sa peau froide. Et rouge. Et rêche.

Tu te retrouves dans cette même cuisine. Cette cuisine glauque qui était celle de ton appartement. Tu sens la brise dans ta main. Une brise froide comme la lame d'un couteau.

Couteau de cuisine.

Tu respires. Ton respire est saccadé. Ton souffle est rauque. Tu dois te maîtriser. Elle est là. Elle a changé de visage, a pris celui d'un ange, comme pour te supplier de la laisser en vie, comme pour te dire qu'elle a changé. Mais tu n'es pas dupe. C'est elle. Il ne peut pas y avoir de doute. Elle a les yeux fermés.

Ton poing se lève.
Un poing-couteau.
Froid.
Et douloureux.
Qui reste en suspens dans les airs.

La respiration
S'approche
Beaucoup
Trop

T'aimes pas ça
T'aimes pas quand
Les gens sont proches
De toi

Ça veut dire qu'ils peuvent
Te toucher, qu'ils peuvent
Te blesser, qu'ils peuvent
Te ressentir (?)

Sacha peut s'approcher
Quelques rares autres aussi
Mais pas une respiration
Pas aussi agitée

Parce que ça fait
Comme une respiration
D'animal
Traqué

Et t'aimes pas ce genre
De respiration
T'avais la même
Juste avant

Juste avant
Que ton petit frère
Tue
Ton père

Parce que
Tu croyais
Qu'il allait réussir
À te violer

T'as eu cette
Respiration
Et maintenant
Tu veux plus l'entendre

Ça te rappelle
Des mauvais souvenirs
Mais ça te rappelle aussi
Un sourire d'Ange

Tu hésites un peu
Parce que ça va
Casser ton moment
De calme

Mais tu dois voir
Qui s'approche
De toi
Comme ça

Alors tu rouvres
Tes yeux
Et tu les écarquilles
Un peu

Tu reconnais
Le gars devant toi
Qui a le poing dressé
Crispé comme sur un couteau

Mais c'est pas un couteau
Y a que du vide dans sa main
Tu te demande si
Il est au courant de ça

Tu reconnais ce gars
Aux paroles incohérentes
Aux yeux qui tuent
Mais presque effrayés (?)

Tu l'as vu
Le jour où t'es arrivée
Ou le lendemain
Tu sais plus trop

Il a eu l'air fou
Quand il t'a vu
Il a commencé à hurler
À se débattre des bras des infirmiers

Il disait un prénom
Celui d'une fille
T'as pas trop compris pourquoi
Cara, il disait, tu crois

Là aussi, il a l'air fou
Il a l'air de vouloir te frapper
Mais tu bouges pas
Pas d'un iota

Parce qu'il te fait peur
Un peu
Mais parce que tu comprends pas
Ce qu'il te veut

Tu le connais pas toi
Tu sais même pas son nom
Alors pourquoi il lève le poing
Avec l'air de vouloir te tuer ?

De toute façon,
Tu peux pas reculer
Y a l'arbre
Dans ton dos

Est-ce qu'il va
Te frapper ?
C'est pas comme si
T'avais pas eu l'habitude

Même si ça fait longtemps
Que t'as pas pris des vrais coups
La douleur, et l'habitude
Ça s'oublie pas

Il pourrait pas vraiment
Te faire mal
Pas si il se contente
De te frapper

Mais t'as quand même
Pas vraiment envie
De prendre un coup
Sacha aime pas

Elle aime pas l'odeur
Du sang
Ou l'odeur
De la violence

Tu sors ta main
De l'eau
Tu sais pas trop pourquoi
Juste comme ça

Puis tu le regardes
Et tu demandes
Avant qu'il ne te frappe
Peut-être pour le distraire

Peut-être que lui parler
Ça suffirait à l'arrêter
T'en as pas franchement
L'impression, mais bon

"Tu veux quoi ?"

T'aurais été quelqu'un d'autre
T'aurais peut-être pris
Une petite voix effrayée
Mais t'as la voix neutre

C'est comme ton visage
Y a rien qui passe
Ni la joie
Ni la peur

Tu fais pas
Vraiment exprès
Mais c'est comme ça
T'essaye pas de changer

Tu veux bien
Faire des efforts
Si c'est pour
Sacha

Ou peut-être aussi
Pour Vince
Et sa main tendue
Vers toi

Mais les autres,
C'est pas la peine
Ils ont pas besoin
De voir tes sentiments

Y a juste un peu
De peur
Dans tes yeux
Mais pas sûr qu'il la verra

Tu veux qu'il parte
Tout
De
Suite

Elle ouvre les yeux, elle ouvre la bouche. C'est pas la bonne couleur, c'est pas le bon timbre. Mais toi tu ne sais plus. Les images du passé se superposent à la réalité ; comme sur la houle. C'est pas un petit ange que tu vois. Tu lis rien dans ses yeux. Elle est peut-être shootée. Ton poing se serre, mais il a perdu toute sa vigueur.

Tu te sens perdu.
Désorienté.
Désabusé.

Il y a quelque chose d'écrit sur son pull. On t'a dit que dans un rêve les lettres se mélangeaient. Tu n'arrives pas à lire, mais c'est toi. Parce que tu ne sais plus comment les liaisons entre les lettres se font. Tu as oublié. Il n'y a que la violence et ton cerveau perdu. Elle te demande ce que tu veux. Il faut que tu lui répondes, tu en es conscient. Mais comme un gosse, tu ne sais soudainement plus former de phrase cohérente. Tu ne sais plus comment on dit les mots. Tout s'effrite dans ta bouche.

"Tu le sais. (?) T'es reviendue."

Un des mots n'existe pas mais t'en as pas conscience. Tu parles comme le gamin que t'étais et que t'as jamais cessé d'être, finalement, au fond de toi-même, le gamin qui vient d'apprendre que sa mère est partie faire un long voyage, avec la voiture et qu'elle est partie par le fleuve. C'est un gosse plein de colère et de rancoeur et de haine et de tant d'autres sentiments qui le polluent qui s'exprime. Ton poing redescend. Tu sais plus quoi faire, tu sais plus où t'es, tu sais plus ce que tu faisais. Tu sais même plus là, d'un coup, que Cara est morte. Tu te crois à ce moment où tu ne sortais pas encore avec elle. Tu te laisses tomber par terre. Tu ramènes tes genoux contre ton torse et tu poses ton menton dessus. Les hallucinations, ça peut arriver, quand y a pas de médicaments. Tu bouges plus. Tu te paralyses complètement face à l'eau. Le gamin en avait peur, parce qu'il ne savait pas nager, mais Oméga en a pas peur. Il faut que tu te ressaisisses, mais plus tu tentes de te raccrocher aux parois, lus elles deviennent glissantes et t'emmènent loin.

Tu ne sais plus, tu n'as plus aucun repère. T'as mal à la tête et t'a froid. Froid, oui, froid. Froid partout.

Puis sa violence
A l'air de s'éteindre
Soudainement
D'un coup

Il a presque
L'air
Perdu
(?)

Tu ne sais plus
Ce que tu dois
Penser
Tu ne sais pas

Il voulait
Te frapper
Enfin, peut-être
Tu crois

Et là, tout se relâche
Dans son corps
Son poing perd sa violence
Sa folie se perd

Même ses mots
Ont l'air
De s'être perdus
Quand il dit

"Tu le sais. (?) T'es reviendue."

Coup en plein
Dans ton cœur
Il disait ça aussi
Ange, avant

Reviendus, un petit mot
Qui t'aurait fait rire
Si ça ne désignait pas
De tes géniteurs

Et t'avais beau lui dire
Jamais il a retenu
Que ça ne se disait pas
Comme il le pensait

Puis tu réalises
Que l'autre parle
Comme si il te connaissait
T'avais connue

Alors que tu sais
Que ce n'est pas
Le cas
Pas dans cette vie-là

Tu cherches
Ce qu'il faut dire
Tu peines
Mais t'as pas le temps

Son poing retombe
Contre son flanc
Et lui s'effondre
À terre

Il fait comme toi
Genoux contre
Son torse
Menton dessus

Il bouge plus
Regarde l'eau
A l'air
Effrayé ?

T'as presque
L'impression
Qu'il tremble
Aussi

Tu bouges pas
Toi non plus
Faut-il que tu l'approches ?
Dois-tu l'aider ?

Tu sais pas
Aider les gens
Peut-être protéger Ange
Mais c'est tout

Et puis si
Tu le touches
Peut-être que
Ça va l'énerver

Tu baisses tes genoux
Te rapproches un peu
Un tout petit peu
De l'homme-enfant

Tu tends un peu
Un tout petit peu
Ta main vers
La terreur terrifiée

Voix qui hésite
Voix qui propose
Tu l'interroges
Tout doucement

"… Tu … tu vas bien ? Tu veux … de l'aide ?"

Tu espères que
Ça va pas
Rallumer sa colère
De t'entendre

Parce que si
Quand il te voit
Il te veut du mal
Ta voix peut faire ça aussi

Et même si
Tu comprends pas
Même si
Il t'a fait peur

Et qu'il a voulu te blesser
Il te fait de la peine
Ce géant effondré
Le roi effrayé

Mais tu ne
Le montres pas
D'habitude, tu prends pas
Les gens en pitié