Qu'est-ce que l'être humain ? C'est faible, c'est pathétique. C'est bourré d'émotions, d'amour, de haine, de peur, de tristesse. Mais quand on enlève tout ça, qu'est-ce que l'être humain ? Ce n'est, après tout, qu'un peu de chair, un peu de sang.
Le sang qui coule, lentement. Chaud, épais. Tellement rouge qu'il est noir, tellement chaud qu'il me donne froid. Je veux que ça s'arrête. Que ça s'arrête.
Il n'y a que ça dans ma tête. Depuis toujours il n'y a que ça dans ma tête. J'ai même oublié son visage. Je me souviens juste de son sang. Son sang qui coule lentement. Je ne me souviens plus de ses cris. Juste de son crâne qui heurte le mur. Et de combien ça m'a fait du bien.
Je ne viens de nulle part. Ma mère, qui est ma mère ? Une flaque de sang, elle aussi maintenant, sûrement. Elle n'a jamais voulu de moi. On m'a donné, on m'a pris, et puis on m'a frappé. De ma vie je n'ai connu que les coups. Ne reproduit-on pas ce que l'on a connu ? J'ai connu l'abandon, la violence. Alors je délaisse. Je délaisse et je frappe. Ça n'a pas d'importance, n'est-ce pas ? Ils disent que je suis fou. Ils disent que je suis fou et qu'alors il ne faut pas me faire mal. Il ne faut pas me faire peur. Il ne faut pas m'approcher. Mais je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou, non. Moi je sais voir. Je sais voir que derrière les fausses émotions ils ne sont rien. Rien qu'un peu de chair, un peu de sang. Il y en a bien assez, non ? Un peu plus, un peu moins... Qu'est-ce que ça peut leur faire, un peu moins ?
Je ne suis pas fou. On dirait qu'ils ont peur quand je leur dit ça. C'est qu'ils ne comprennent pas. Mais ils ne peuvent pas comprendre, n'est-ce pas ? Ils ne peuvent pas comprendre que la vie n'est rien. Qu'on naît un jour, qu'on vit nos vies monotones dans le malheur, même si on essaie de prétendre qu'on est heureux, et qu'un beau jour, oui, un très beau jour vraiment, on se couche et on ne se réveille jamais. C'est tout. Ça ne sert à rien de vivre. On n'est rien.
Elle n'était rien non plus. Elle croyait qu'elle m'aimait. Et moi je croyais qu'elle était différente. Qu'elle était comme moi, peut-être. Elle disait qu'on s'aimait. Elle y croyait. Elle croyait aux émotions. Au fond elle était tout aussi pathétique qu'eux. Je l'ai frappée pour voir ce que ça faisait. Pour voir si elle réagirait, si elle était comme eux. Elle a essayé de se retourner, de faire quelque chose. Je n'ai pas accepté. Je n'ai pas accepté qu'elle ne me comprenne pas. J'ai frappé. J'ai frappé encore, et encore. Jusqu'à ce qu'elle arrête de crier, jusqu'à ce qu'elle change, qu'elle arrête d'avoir mal, qu'elle arrête de croire en la vie. Je ne voulais pas qu'elle y croit. Et je ne me souviens plus de sa voix, et je ne me souviens plus de son visage, et je ne me souviens même plus de son nom. Je me souviens juste de combien elle m'a fait du bien quand elle s'est arrêtée de crier. Quand son sang a coulé. Quand elle s'est effondrée. Quand elle a arrêté de croire. Quand elle m'a compris, un instant. Parce que c'est trop dérangeant d'être le seul à comprendre. Je veux que ça s'arrête. Que je ne sois plus le seul à savoir.
Je ne suis pas fou. Je ne suis pas fou, il n'y a pas de voix dans ma tête. Juste du sang. Du sang. Et je veux que ça s'arrête. Que ça s'arrête.

Pour rien au monde. Et si je devais le refaire, je le referais. Autant qu'il le faudrait. J'en suis fier. J'aime ça. Ils me comprennent. Vous comprenez ? Ils me comprennent. L'espace d'un instant. Juste un instant. Quand ils oublient d'avoir mal, quand ils arrêtent de crier, qu'ils laissent partir la vie. Alors ils sont comme moi. Il oublient les émotions. Ils comprennent. Ils savent que ça ne sert à rien. Ça ne sert à rien de vivre. Je suis fier qu'elle m'ait compris. Vous n'avez jamais rêvé qu'on vous comprenne ? Que pour une fois, une seule fois, quelqu'un se sente comme vous ? C'est bon vous savez. Je lui ai donné la plus belle chose du monde. Je lui ai donné le sang. Et je me suis donné ce que je voulais le plus au monde. Jamais je ne m'en voudrai pour ça.

Ce n'est qu'un autre endroit. Juste une autre place où mourir. L'endroit où je me trouve m'importe peu. Il ne peut pas m'aider. Je n'ai pas besoin d'aide. Vous pourrez m'enfermer, m’empêcher de sortir, m'enchaîner, ça ne fera rien. Rien. Ce n'est pas quelque chose que vous pouvez prendre. Vous ne pouvez pas l'enlever. C'est là. A l'intérieur. Ce n'est pas le monde extérieur. Non. C'est dans ma tête. Dans mon sang. Tout est dans le sang. Vous pourrez m'enfermer des années, jusqu'à ma mort peut-être, ça ne changera pas. Il est en moi. Il est en moi, ce qui vous appelez le problème. Je suis la seule personne saine d'esprit ici. Et vous ne me rendrez pas fou.  

Je ne pense pas que la violence prenne le dessus. Je ne ressens rien. Rien. Je ne ressens jamais rien. Je ne me sens pas plus en colère. Plus violent. C'est comme quand vous vous faites un café. Vous prenez votre tasse comme je frappe. Vous faites couler le café comme je fais couler le sang. Et le soulagement de sentir un liquide chaud descendre dans votre gorge arrive à moi quand ils expirent. Je ne le sens pas arriver. Je ne le sens pas monter. Je frappe. C'est tout. Juste ça. Mais vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne voyez pas.